Monsieur le Migrant,
J’ai bien reçu ta candidature de demande d’asile et d’hébergement, et je te remercie de me l’avoir envoyée. J’ai bien pris note des arguments que tu avances, que la situation chez toi en Syrie est devenue invivable entre le régime au pouvoir et les rebelles, au point que tu as laissé femme et enfant derrière toi (mais ça peut-être que, comme en occident, ça t’arrange).
Je ne suis pas insensible à ta détresse, loin de là.
Mais ma situation n’est pas si simple.
Dans mon beau pays, on est copains comme cochons avec les Etats-Unis, depuis le Débarquement en fait, dont on paie encore l’addition, ça remonte à loin tu vois, une amitié pareille, ça lie, et on ne peut pas dire n’importe quoi. On ne peut pas dire, par exemple, qu’ils peuvent se nettoyer tous seuls le dawa qu’ils ont mis dans ton pays, puisque financer les rebelles moyennait de nettoyer le dictateur, ce qui a un peu foiré au vu de leurs mauvaises fréquentations et maintenant on a deux problèmes sur les bras. On ne peut pas dire, bienvenue dans les années soixante-dix, bienvenue dans la Guerre Froide 2.0, avec les méchants russes qui soutiennent Damas, et les gentils ricains qui soutiennent l’opposition, et nous dans tout ça, on n’a rien à faire là. On ne peut pas dire, qu’ils n’ont qu’à t’accueillir chez eux, dans leur rêve américain, puisque sans eux, moi petite aryenne, je serais probablement encore là, mais peut-être pas la totalité de mes amis.
Et puis tout ça ne nous arrangerait pas du tout, car avec nos amis américains, on est très contents que, depuis que c’est la merde dans ton pays, les prix du pétrole ont baissé. Et je peux te dire, qu’à la pompe à essence, ça fait une sacrée différence.
Alors comme d’habitude, je vais rester sur mon nombril avec mon plein au rabais, et je vais mettre mon kit nuit Air France pour ne pas regarder vers toi, ni vers l’Ukraine, dont on ne parle plus trop bizarrement. Et pourtant, cette Ukraine dont moi, personnellement, misérable petite contribuable française, je me contretape, reste un enjeu majeur entre l’Europe et la Russie, puisqu’elle est encore actuellement le passage obligé du gaz russe vers l’Europe. Elle est aussi la voisine de la Crimée, port de surveillance et piste d’atterrissage militaire, point aussi stratégique que la rue des Francs-Bourgeois peut l’être pour mon shopping parisien. L’Ukraine, un potentiel unique de gros merdier en mondovision : prends tes places.
Alors, Monsieur le Migrant, je fais le tri dans mes dossiers, et je me rends bien compte que tu ne me coûteras certainement pas plus cher, comme le dit si bien Nicole Ferroni, que l’évasion fiscale, ou encore les 11000 et quelques euros d’indemnités mensuelles d’un sénateur dont la moitié n’est pas soumise à l’impôt sur le revenu et versée à des sénateurs souvent invisibles au Sénat. C’est certain. Mais comme je suis déjà saignée à blanc pour financer ce genre de conneries honteuses, je ne peux guère plus te sortir un euro supplémentaire pour t’aider.
Mais mes impôts t’ont quand même aidé un peu, puisqu’ils ont subventionné cette gentille consule honoraire de France à Bodrum en Turquie, qui vendait à tes copains de galère si j’ose dire, des bateaux pneumatiques et des gilets de sauvetage.
Et puis, si toi tu es gentil, peut-être que ton voisin de migration voudra faire un tour Porte de Vincennes, dans un train ou dans une rédaction lambda, histoire de faire un peu le ménage. Comment le savoir, puisqu’en France nous ne distribuons pas, comme nos amis américains, des questionnaires hyper précis et très utiles sur le contenu de notre trousse de toilette à tout nouvel arrivant (du genre « Avez-vous l’intention de mener des actions terroristes sur notre territoire ? » Tiens, et si je répondais oui, pour voir ?). Nous, tout ce qu’on peut faire, c’est avoir confiance en ta parole, ce que j’essaie présentement de faire.
Mais malheureusement, la vie est une histoire d’argent, alors je me contenterai de te rappeler le montant de la dette publique française : 2089,4 milliards d’euros, soit 97,5% du PIB. Hé oui, c’est flippant.
Alors je sais bien que tu fais ce que tu peux, et que tu n’as pas pu entrer dans les pays du Golfe, qui gentiment te proposent de te financer la construction de Mosquées en Allemagne ; mais je crois bien qu’actuellement, c’est un peu le cadet de tes soucis. Surtout quand tu te rendras compte que l’Europe, c’est pas l’El Dorado.
Tu verras, en France on est loin d’avoir la palme de la sympathie et de la politesse. Alors c’est sûr, c’est mieux que de te prendre un obus dans la tronche, même si ici, tu te prends quand même, après tout ce que tu as traversé, une chanson de Francis Lalanne sur ton calvaire. Et ça, c’est hyper rude. Mais tant que le pognon dominera le monde, tu vas continuer de galérer.
Un peu comme nous tous, d’ailleurs. Moi, en tout cas, c’est sûr : célibataire, et sans enfant, la note finale elle tombe toujours dans ma poche.
Mais je ne désespère pas : le retour de la Guerre Froide, c’est un peu mon Dallas à moi, et le moins que l’Amérique puisse faire pour moi, puisque je lui suis éternellement redevable pour le Soldat Ryan, c’est de m’assurer le spectacle.
Allez bon dimanche ami lecteur, et va payer tes taxes, la Fonction Publique a besoin de toi, pendant que je lancerai un avis de recherche pour retrouver ma générosité, partie faire un tour depuis le passage à l’euro : si vous la voyez, dites-lui qu’un geste peut toujours s’avérer déductible… A la semaine prochaine !!!