La politesse, bordel ! #1

Cher ami lecteur, dans ma région nous avons la chance d’avoir chaque année un festival de musique avec une bonne programmation sur un site exceptionnel. Ça, c’est juste pour le contexte. Le vrai sujet, c’est les gens que j’ai croisés. Enfin, surtout certains, qui comptent triple. Et c’est parti pour une petite minute « vieux con »…

Le premier soir, tête d’affiche M, un public digne d’une ouverture de soldes Boulevard Haussmann. Chaleur de gueux, 500 millions de chinois, et moi et moi et moi. Compter dix minutes de plus sur chaque déplacement. J’arrive au bord de la fosse en latéral. Mais qu’est-ce qu’on est serrés au fond de cette boite, chantent les sardines. Tant pis je plonge. Quelques mètres plus bas, à trois-quatre rangs de la scène, aucun rapport. Tout le monde est joyeux et gagné par l’énergie de l’artiste. On se ferait presque tous des bisous tellement on est contents. Pourquoi sont-ils tous massés au même endroit, mystère et boule de shit.

Le lendemain c’est la soirée de Patriiiiiiiick Benguigui. Là aussi, la fosse est praticable, les gens polis comme les années précédentes. C’est un peu le principe : les places ne sont pas données, le site n’est accessible que par navettes, c’est l’expédition. Le public a choisi d’y être. Tout le monde est content et 4 fans s’évanouissent poliment dans la chaleur et l’émotion, comme à la grande époque. Jusqu’ici, tout va bien…

Le jour d’après, hormis un début de soirée sénior avec Supertramp et un public qui a bien suivi ses cours d’éductation civique, la programmation passe soudain du côté obscur de la force. En l’occurrence nous voilà sur IAM, où les lignes de courtoisie ne sont pas du tout respectées. Dans une fosse, c’est de bonne guerre, me diras-tu ; faut dire qu’avec les premières journées du festival, j’ai été mal habituée.

Voilà donc que je me retrouve côte à côte avec 3 jeunes dans la petite vingtaine, avec la maturité qui va avec. En effet, c’est tellement sympa de lancer un pogo sur une chanson sans rythme quand on est les uns sur les autres. Une façon de faire partie de la vie de ces autres et d’exister, c’est de faire suer le monde. Parfois même, on parle de toi dans un blog, c’est dingue. Incroyable toutes les perspectives que ça ouvre. « Oh nous on est des oufs » ça c’est le récit des petits cons de leur soirée à leurs potes, comme quoi tout est relatif et affaire de point de vue. C’est vrai que bousculer trois quadras à un concert sans s’excuser, c’est révolutionnaire. Spielberg est sur les starting-blocks pour en faire un film.

Mais trêve d’ironie.

Comme IAM, question de goût, ce n’est pas ma tasse de café, nous décidons à deux de remonter la foule avant la fin. D’une manière générale, les gens, sans faire preuve non plus d’un enthousiasme délirant il est vrai, s’écartent un peu pour nous laisser passer. Jusqu’à ce que nous tombions – mon binôme me précédant – sur une petite jeunesse aux cheveux longs frisés dépourvue de la fonction sourire, une bière à la main, qui reste stoïque à notre approche. Aucun mouvement. Idée d’orientation pro : statue de la liberté dans un parc parisien, y a du matos. Ni pas sur le côté, ni changement de position, ni même un micro-déplacement de sourcil. Genre elle est plus légitime que nous sur cette portion du terrain, même si nous ne faisons que passer, et que dans les règles de base de la bienséance y compris celle appliquée aux stations de métro parisiennes (une référence) on laisse sortir en priorité celui qui le souhaite. Donc elle ne bouge pas. Mon binôme passe outre et la bouscule légèrement en passant. Sa bière bouge un peu, mais reste dans le verre. Elle me regarde d’un air irrité. « Désolée, faut bien passer » lui dis-je, juste pour être polie, alors qu’elle-même ne l’est pas. « T’as qu’à pas renverser ma bière » me répond-elle avec l’à-propos d’un jambon. Nous voilà face à une très belle régression darwinienne, où les préoccupations sont réduites à leur strict minimum : ma roteuse, hé, ho! Heureusement petite, il te reste une main pour te gratter un peu le crâne, ton savoir-vivre étant tombé dans ta bière, et n’a assurément pas survécu. Mais quelque part, tu me rassures : être aigri ce n’est pas que pour les seniors. Tu as visiblement à ton jeune âge, déjà eu ton quota de déceptions, où les deux gorgées renversées de ta bière à 4 € sont un dommage collatéral de ta propre grossièreté. Tu aurais mérité qu’on fasse demi-tour pour la renverser vraiment, avec une option sur ta tête de refoulée des cours de récré.

Le dernier jour du festival, je n’étais clairement pas la cible, les têtes d’affiche visaient les enfants de mes copines : Thirty Seconds To Mars et Macklemore, ça sent bon le Clearasyl. Mais les américains ayant inventé l’entertainment, il y avait des chances de voir du beau spectacle.

Ce fut le cas, et dans le public il y avait du spectacle aussi. Contrairement aux jours précédents, la fosse ressemblait à une vraie fosse, on était bien tassés à quelques rangées des barrières. Là, déjà que tu te tapes tous les effluves des joints environnants, ce qui est moyennement agréable mélangé à la poussière et aux odeurs d’hygiène approximative, que chaque quidam qui passe te file un bleu, il ne manquait personne et pourtant les voilà… Le couple vingtenaire et grand qui pousse tout le monde pour se mettre à côté de nous, pile entre une jeunette et sa mère, à un endroit où on était déjà aussi serrés que dans un wagon du RER A pendant les grèves. L’asperge mâle, convaincue d’avoir le look qu’il faut, boucle d’oreille et lunettes de soleil roses à 23h, se met à gigoter et pousser. La jeunette, au bord de l’étouffement, souhaitant retrouver sa mère et son espace vital, s’énerve à juste titre. Le couple lui passe soudain devant en la projetant par le col vers l’arrière, lui bouchant alors complètement la vue. Les avoisinants se lancent des regards, même les millennials sont choqués. Je regarde un peu autour de moi. Le couple nous gâche à nous aussi vue et respiration. Mon groupe recule d’un pas vers une butte pour y voir à nouveau. Les deux abrutis vivent quant à eux sur une planète où ils sont seuls. Nous aurions tous aimé l’inverse : une planète où ils ne soient pas. Parfois, être majoritaires n’est pas suffisant.

De ma butte, je constate une curieuse répartition des forces en présence : devant et à droite, ça saute et ça danse, à gauche, ça dérive comme un banc de calamars tout mous, inertes. Une bulle d’anti-énergie en plein milieu d’une liesse générale, et finalement tellement représentative de la société actuelle : molle et passive, elle accepte tout sauf de déborder sur sa pause déjeuner. Bon ok cher ami lecteur, je t’avais prévenu qu’on allait cisailler du chiot, et je ne t’apprendrai rien en te disant que les réseaux sociaux et les smartphones sont d’actifs contributeurs à l’individualisation et à l’irrespect. Tu ne profites plus de rien parce que tu es en train de filmer, tu envoies des messengers à quelqu’un qui est à côté de toi, et tu es à fond sur tes droits, mais quid de tes devoirs ? Certes, on a renversé un peu de ta binche, petite ronchon, mais pourquoi ne t’es-tu pas poussée en nous voyant remonter ? La politesse n’est pas un filtre Instagram. Ton savoir-être ne se mesure pas au nombre de tes followers. Un like n’est ni de l’argent, et certainement pas une manifestation d’affection réelle.

Alors, cher ami lecteur, je ne vais pas te mentir en te disant que quelques petits incorrects m’ont gâché le festival. Non, ils sont plus drôles qu’autre chose, et les plus à plaindre ce sont eux, à traverser leur vie avec le QI et la sensibilité d’une saucisse. Et si tu as des enfants, ami lecteur, explique-leur : la vie te rend ce que tu lui donnes.

À la prochaine !

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