Nous les filles, la politique on n’y tâte que dalle.
Quand on voit apparaître une des têtes dégarnie et chafouine, en général, on zappe si on peut, on éteint, on s’endort, on peut même dans certains cas extrêmes retourner à la cuisine et faire la vaisselle par exemple, c’est une diversion utile.
Toutefois, depuis plus de vingt ans, nous avions une petite fenêtre sur la vie politique et sur l’actualité qui nous permettait de nous informer tout en rigolant grave : les Guignols de l’Info. Vingt ans que je rate des barbeucs et des brunchs au rosé pour regarder la compile de la semaine.
Et voilà qu’il y a deux semaines, sacrilège ultime, j’apprends qu’on va me supprimer ma principale source d’info politique, celle qui me rappelle que je ne dois pas croire tout ce qu’on me dit (y compris les marionnettes !) et surtout penser par moi-même, au lieu de répéter bêtement (bêlement ?) au cours d’une conversation B les phrases sympa qui claquent entendues dans une conversation A.
Je n’ai pas signé de pétition contre le massacre des baleines, ni contre celui du thon rouge. Je n’en ai pas signé non plus pour sauver la forêt amazonienne, la couche d’ozone ou les enfants affamés du Mali. Pour être tout à fait honnête, je me sens concernée, mais de loin (à peu près la distance de la Terre à la Lune).
Mais là, mon civisme a fait le même bond que le 7 janvier, et me voilà sur change.org ou un site du même acabit, signant en ligne pour sauver les Guignols.
Les Guignols, quoi, ça m’a remué les tripes. On a tous défilé en janvier pour la liberté d’expression, et voilà qu’on nous supprime le dernier bastion libre et réellement drôle, avec Cyril Eldin, d’une actualité politique commentée. Heureusement, je n’ai pas été la seule : des milliers de réactions sur les réseaux sociaux, dans les journaux (énorme édito des Inrocks du 8 juillet dernier par Christophe Conte, en cadeau à la fin de l’article ). La chaîne fait alors marche arrière, la voix du peuple a gagné, pense-t-on.
Jusqu’à ce vendredi 25 juillet, où après avoir annoncé que la quotidienne allait être cryptée, mais pas le dimanche, on nous jette à la face, pauvre public crédule, que les 4 auteurs historiques des Guignols allaient être limogés, pour « usure » et salaire trop élevé (sur un budget de 17 millions qui ne bouge pas, pourtant).
Et là je me dis qu’on me prend pour un jambon.
Ça veut dire quoi, ça, on reconduit l’émission mais on change la totalité du staff qui écrit les sketches ?
Ça veut dire quoi, ils sont « usés » ? Je ris toujours autant, et je me demande objectivement chaque dimanche comment ils font pour écrire des sketches aussi drôles depuis si longtemps. En tant que spectatrice, je n’ai ressenti aucun essoufflement. Mais, clairement, mon petit avis ne pèse pas lourd, c’est à se demander si ma voix dans une urne (une urne ! ça sent le sapin, ça, une urne…) raconte quoi que ce soit.
Alors je me dis que peut-être que Christophe Conte a raison, et que les amitiés de Monsieur le repreneur Bolloré sont effectivement à l’origine de cette destruction hypocrite. Car arrêter les Guignols ou remplacer ses auteurs, c’est bonnet blanc et foutage de gueule. Mais il semble que, ces derniers temps, plus on donne l’air d’abuser et plus ça passe :
– Monsieur Balkany qui le jour de la diffusion d’un reportage sur sa vision très personnelle de la fiscalité française, bénéficie (Dieu est grand !) d’une coupure de courant dans la ville dont il est le maire juste sur le bon créneau horaire ;
– Madame Saal, qui, sous prétexte de n’avoir pas le permis de conduire, produit des notes de taxi à l’Etat de la taille d’une villa avec piscine, tout en finançant aussi les sorties en boîte de son fils (qui visiblement, n’a pas son permis non plus) : 440 000 € de factures de taxi entre ses postes du Centre Pompidou et de l’INA ;
– et que dire des évasions fiscales diverses (600 000 € par ci… 2 millions d’€ par là…) de Monsieur l’ex-ministre du budget (!) Cahuzac, qui dans une prestation de comédien digne des Molière, niait avoir un compte en Suisse, bref, le propos n’est pas de dresser une liste de toutes les cuillères qu’on a trouvé dans le pot de confiture vide, on y serait encore la semaine prochaine.
La première annonce, celle de supprimer purement et simplement les Guignols, était plus honnête, au moins la messe était dite. Là, on te prend pour un con, ouvertement, on se fout de savoir que tu vas t’en rendre compte, car de toute façon, tu ne comptes pas.
Ce qui te chagrine le plus, c’est que toi, comme de nombreux autres concitoyens, ta mère t’a élevée dans le respect des autres, en te disant que mentir, voler, manipuler, te moquer des gens autour de toi, c’était mal. Toi, comme de nombreux autres français, tu n’oserais pas faire le quart de ce que ce Monsieur Bolloré et consorts font, car tu aurais trop honte. Tu ne pourrais pas te regarder dans le miroir.
Mais alors, petit jambon, que vas-tu faire ?
Tu peux rester, ton cul de dindon de la farce gentiment coincé dans ton canapé, et penser aux 55 millions de dindons de la farce français, en te disant qu’organiser en France un Thanksgiving cette année ne serait pas une idée si incohérente que ça.
Tu peux, à l’instar de nombreux internautes, résilier ton abonnement à Canal+, sauf que t’es pas abonnée. Mais chaque soir ou presque, tu regardais le Petit et le Grand Journal, le samedi, le Tube et le dimanche, tu n’aurais raté le Supplément et les Guignols pour rien au monde. Hé bien, tu vas arrêter. A ciao, les Guignols, Catherine et Liliane, Daphné, Yann et Maïténa.
Peut-être est-il temps aussi de faire vivre ton compte Tweeter, et participer à dénoncer ce type d’agissements. Montrer que, si on te prend pour une andouille absolue, tu ne l’es pas forcément.
Mais le plus important, c’est que tu n’es certes pas riche ni célèbre, mais le soir tu te couches tranquille, avec ta conscience pour toi.
Et du coup le dimanche, tu vas pouvoir reprendre ton activité d’apéro du midi, et trinquer avec des gens sympas qui ne trouvent pas, eux, que tu es une anémiée du cerveau et qu’on peut te servir n’importe quelle soupe.
Et le jambon, ce ne sera plus toi. Tu le mettras sur le pain tomate.
Ami lecteur, bon dimanche, et ne sois ni une volaille, ni un jambon (fût-il de la pata negra). Tu n’es pas un imbécile. Les gens ne sont pas des imbéciles. Fais-le savoir.
Et, juste pour le plaisir, l’édito de Christophe Conte dans les Inrocks du 7 juillet 2015.