En cette année 2015, j’ai arrêté de prendre le train et j’ai failli m’abonner à Charlie Hebdo. Et là, voici que j’hésite à m’asseoir à une terrasse de café, car je me dis raisonnablement que ce sera peut-être le dernier que je vais boire.
Je regarde de travers le barbu assis à côté de moi, va-t-il exploser ? Ah, non, il a une chemise à carreaux, c’est juste un hipster en fait, pas un salafiste.
Et là je me demande ce que je suis en train de devenir, et surtout, pour qui vais-je donc voter aux prochaines élections ? Et ça fait vraiment très peur.
Bon, ce n’est pas comme si on ne se doutait pas que ça allait nous tomber dessus, tous les spécialistes-analystes de mes deux qui ont commenté les attentats de janvier 2015 nous l’avaient bien dit. Et malgré un déploiement de CRS pendant les soldes (j’ai passé ma semaine de vacances parisiennes à ouvrir et fermer mon sac), malgré l’explosion des ventes de Charlie Hebdo rien n’a réellement été fait puisque j’ai failli me faire sauter le caisson dans un Thalys, alors que l’Etat préférait, comme nous tous d’ailleurs, s’émouvoir devant la photo du petit Aylan mort sur une plage turque.
Et voilà, maintenant je dois réfléchir à deux fois avant de sortir le vendredi soir, ou alors je dois me rendre dans des endroits craignos ou ringards où il n’y aura aucun risque de me faire dézinguer : un petit bar dégueu au fin fond du 13e, par exemple, si possible avec une vieille déco et trois clampins du quartier, zéro risque. Sauf peut-être de passer une soirée de merde, hyper déprimante dans un bar moche à moitié vide.
Je dois aussi me taper l’intégrale des textes de chaque chanteur que je compte aller voir en concert, pour être sûre qu’il n’y ait pas de risque que ses paroles de chansons soient en contradiction avec les enseignements du Coran.
Je déserte les terrasses même en plein été, trop dangereux, car même un gilet pare-balle ne nous protègera pas, mon rosé et moi, de la menace d’être transformée en steak tartare.
Car là, j’ai du mal à me concentrer sur les véritables enjeux de ces actes barbares. J’ai dû mal à me demander quel est le véritable jeu de la France, qui d’un côté bombarde la Syrie et de l’autre achète le pétrole au marché noir. J’ai du mal, car c’est mon nombril qui est en question. A Paris, ce sont les quartiers où je suis susceptible d’aller qui ont été visés, le Carillon est un bar où il m’arrive de boire un coup.
Et une fois ceci posé, je peux enfin faire preuve d’empathie envers toutes ces personnes que j’aurais pu être – j’aurais pu être chacune d’entre elles – et qui, sorties pour manger 4 tapas en terrasse, ne sont jamais rentrées chez elles.
A quoi tout cela tient-il ?
Que puis-je faire, quand on me prend clairement pour une abrutie ?
Si on part du principe que des gens à l’intelligence supérieure à la mienne et à celle de la majorité de mes concitoyens nous gouvernent, comment ont-ils fait pour attendre aussi patiemment depuis le 7 janvier 2015 que toute cette désolante merde se produise ? Evidemment, la France pays des Droits de l’Homme ne pouvait pas faire grand chose hormis surveiller, puisque cette surveillance n’est pas recevable, quand bien même tu trouverais des kalachnikov dans le salon d’un particulier. Donc ce beau monde supérieur a choisi d’être cohérent dans sa politique de gauche, d’accueillir quelques migrants en se préparant à la réponse au massacre, qui cela dit au passage, aura ressuscité la cote de popularité moribonde d’un président au charisme trouvé dans un œuf Kinder. Des fonctionnaires compétents ont dû plancher il y a de cela des mois pour préparer ces discours d’état d’urgence, en trempant par anticipation la plume dans le sang des 129 sacrifiés survenus entretemps.
La traque de Saint Denis confirme bien le laxisme français : on sait tout, mais on n’agit qu’en cas de catastrophe, une fois qu’il serait dangereux pour l’image de ne pas le faire.
Alors je devrais logiquement me détendre : pendant les trois mois d’état d’urgence, nous allons tous déquiller du djihadiste, pulvériser tous les fichés S, et critiquer les arabes sans passer pour des racistes. Pourtant j’ai moi la désagréable impression de danser sur des cadavres dont j’aurais très bien pu grossir le nombre, et vivante ou morte, d’être in fine récupérée par le jeu politique d’une campagne présidentielle.
Je m’en vais donc me consoler en me disant que de toute façon, quoi que je fasse, je ne changerai rien : Nostradamus avait prédit une troisième guerre mondiale pour 2015. Il ne me reste plus qu’à repenser la géo-localisation de mes loisirs : me voilà rassurée, car quelle que soit la configuration envisagée, je n’aurais jamais pris un billet pour aller voir les Eagles Death Metal. Je peux compter sur mon bon goût pour me sauver la vie, et te souhaiter une bonne semaine, ami lecteur, avec ce conseil : sois sélectif, dans tes choix culturels, mais aussi, n’héberge pas les amis de tes amis pour les dépanner : tu pourrais bien te retrouver sur BFM TV.
A la semaine prochaine !