« Et comment, tu n’as pas d’enfant ? »

« Une belle fille comme toi, et toujours célibataire ? #2 »

Cher ami lecteur, je t’ai raconté au début de l’été la foire aux pénibles qui te demandent encore et encore comment ça se fait qu’avec ton physique pas dégueu, ta bonne humeur et ton humour sympa, tu ne sois pas en couple, et surtout comment tu as réussi à te retenir de leur jeter n’importe quel liquide dans la tronche. Hé bien, sache que, dans l’exploration de la lourdeur conversationnelle, tout de suite après il y a la question du titre.

Celle qui fait de toi, infâme nullipare, un mutant tout noir à l’intérieur. Ou un fruit sec, au choix.
Non, parce que comment, en tant que femme (feeeeemmme simplement j’te diiiis) tu n’aies pas ressenti ce besoin irrépressible de remplir ton rôle sur terre et produire un chiard (au moins un).

Je n’ai donc pas d’enfant.

L’horloge biologique, cette menace totalement sexiste, n’égrène un compte à rebours que pour les amies lectrices, n’est-ce pas Mick (Jagger, père pour la 8e fois à 73 ans) ? Donc je devrais être en train de m’inquiéter sérieusement.
De toute façon, ça fait belle lurette que les statistiques font de moi un objet obsolète, une voiture qui roule mais qui n’est plus cotée à l’argus. Dès que tu passes 35 ans, tu bascules dans la population des grossesses à risque, on te répète à longueur de temps que tu aurais dû t’activer avant, pendant que Mick, la veille de sa mort, peut, s’il le souhaite fabriquer un dernier moutard pour la route et repeupler tout un quartier de Londres à lui tout seul, puisque Papa was a Rolling Stone.

Déjà donc, au démarrage, avant même d’avoir pu me poser ne serait-ce que la question, la vie est injuste : je dois me dépêcher, pendant qu’un homme peut, lui prendre tout son temps et attendre la maturité nécessaire pour avoir l’envie de procréer et d’élever sa progéniture. Et toutes les associations pro féministes n’y pourront rien changer, il y a un défaut de fabrication à la base chez le concessionnaire.

Mais mettons que l’urgence biologique ne soit pas un problème. Tout le monde me pose la question comme si j’avais une tare cachée, ou qu’un événement sournois et traumatisant me soit survenu (fausse couche de Grey’s Anatomy, viol de New-York Unité Spéciale, etc.) À la limite, munie d’une bonne raison de cet ordre, je pourrais avancer fièrement une position aussi provocante et transgressive que : « je ne veux pas d’enfant » (ce qui n’est pas le cas, au moins je ne me ferai pas traiter de « connasse égoïste » cf. la tribune de Garance Doré). Sans l’excuse d’un choc physique ou psychologique, on me regarde comme si je disais que je n’aimais pas les chiots ou les chatons : sacrilège. Limite si on ne me glisse pas la carte de visite d’un psy pour me remettre les idées en place.

Le truc, c’est que parfois, tu ne maîtrises pas tous les tenants et aboutissants de ta vie, et que les situations où tu aurais pu te reproduire ne te paraissaient pas assez satisfaisantes pour le faire. La seule chose dont j’ai toujours été certaine, c’était de ne pas vouloir un enfant à tout prix à élever toute seule, même si je respecte parfaitement les besoins de maternité de mes amies qui ont fait ce choix-là.
Ce n’est pas pour autant que je sois dépourvue d’instinct maternel, je ne suis ni traumatisée, ni folle ou psychiquement déficiente.

Alors, ami lecteur, sauf si tu as le goût du risque, ne viens pas te faire tarter par ma main avec ta question débile. Je ne te demande pas pourquoi tu perds tes cheveux, ni pourquoi tu as grossi. Il y a des choses qui sont comme ça, on n’y peut rien.

Et je dois t’avouer que la tentation est grande de te répondre « je suis stérile ».
Juste pour te mettre mal à l’aise, et que tu réfléchisses à deux fois avant de balancer n’importe quoi n’importe comment, même si c’est la mode, via un hashtag au napalm, ou plus courageusement, directement dans ma gueule.
Mais j’ai trop de respect pour les femmes stériles pour le faire.
Car elles n’ont pas choisi, alors que moi, j’ai toujours eu quelques options à portée d’ovaires.

Cependant, il y a de la place pour toutes en ce monde, sans que les unes et les autres soyons obligées de nous farcir le « bon sens » de celles et ceux qui ne sont pas comme nous.

En somme :
– la maternité n’est pas le seul avenir possible pour une femme, ni la cuisine son seul lieu de vie ;
– élever un enfant est difficile, voire relou, et il est bien tentant de vouloir que tout le monde soit dans le même bateau ;
– ce n’est pas parce qu’on n’a pas d’enfant qu’on a été kidnappée et remplacée par un alien.

Alors cher ami lecteur, en 2018, faisons un vœu : celui de ne pas trouver bizarres des choses qui ne le sont finalement pas.
Il suffit juste de s’essuyer les lunettes avec un peu de tolérance : on y voit mieux et il se pourrait même qu’on en devienne un tout petit peu moins con.

À la semaine prochaine !

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